On a vu fleurir, ces dernières semaines dans la presse, les articles sur la présence du moustique-tigre en France. Détectée pour la première fois il y a une dizaine d'années dans le Midi, la bestiole a depuis fait du chemin, s'étalant jusqu'en Aquitaine et remontant la vallée du Rhône pour débarquer en Bourgogne. Originaire d'Asie du Sud-Est mais capable de s'acclimater dans des contrées moins chaudes, l'espèce inquiète car ses représentants sont potentiellement porteurs des virus de la dengue et du chikungunya, qu'ils peuvent inoculer aux humains en les piquant. D'autres espèces, comme Aedes aegypti ou certains anophèles, sont aussi vecteurs de maladies graves, notamment le paludisme ou la fièvre jaune. Ainsi que je l'avais écrit dans un précédent billet, s'il est un animal dangereux pour l'homme – hormis l'homme lui-même–, c'est donc bien le moustique.
Au point que, depuis quelque temps ont été élaborées de nouvelles stratégies de lutte, plus raffinées, plus ciblées, que le recours classique aux insecticides, lesquels, en plus d'être parfois toxiques pour les humains, frappent large et s'attaquent à des insectes non nuisibles. L'idée principale consiste à faire chuter les populations de moustiques en s'en prenant à leur reproduction. On a ainsi vu le Brésil lâcher dans la nature des insectes génétiquement modifiés pour que leur descendance ne puisse pas survivre. Autre possibilité, induire une stérilité soit par irradiation des mâles, soit par le biais d'une bactérie. A cet arsenal on pourrait désormais ajouter théoriquement une nouvelle arme à en croire les résultats d'une étude américano-chinoise publiée le 12 juin dans la revue Science : transformer les moustiques qui piquent en moustiques qui ne piquent pas.
Certains se demanderont comment on n'y a pas pensé plus tôt tellement l'idée paraît simple. Mais passer de la théorie à la pratique est loin d'être aussi facile. Avant d'aller plus loin, rappelons que, chez les moustiques, seules les femelles piquent, afin de pomper un peu de sang, qui contient les éléments nécessaires pour porter leur œufs à maturité. L'idée consisterait donc à transformer les femelles... en mâles. A reproduire en quelque sorte ce qui est connu chez l'homme sous le nom de syndrome du mâle XX ou de syndrome De la Chapelle, du nom du chercheur finlandais qui en a compris la cause. Voilà des individus porteurs de deux chromosomes sexuels X. A priori, l'affaire est entendue, il s'agit de femmes. Sauf que... non : ces personnes ont en général une apparence masculine et, surtout, le système génital qui va avec. En effet, ce qui détermine le sexe n'est pas tant les chromosomes que certains des gènes qu'ils portent ou non.
Chez l'humain, lors du développement de l'embryon, la présence d'un gène nommé SRY, normalement présent uniquement sur le chromosome Y, déclenche, un peu comme un interrupteur sur lequel on appuie, une cascade d'événements qui commence par la formation des testicules. Si le SRY est absent, parce qu'on a deux chromosomes X, rien de tout cela ne se produit et l'embryon finira par devenir une petite fille. Dans le cas du syndrome De la Chapelle, à cause d'une anomalie lors de la formation du spermatozoïde paternel, le gène SRY s'est retrouvé par accident sur le chromosome X et, pour cette seule raison, l'embryon s'est masculinisé.
En imaginant que l'on parvienne à implanter l'équivalent du gène SRY dans tous les embryons de moustiques, même ceux qui devraient naître femelles deviendraient des mâles. Le hic, c'est que, malgré le séquençage du génome de plusieurs insectes, on n'avait à ce jour jamais réussi à identifier ce "facteur M" (M comme "mâle"), c'est-à-dire le gène qui déclenche la fabrication d'un appareil génital mâle. C'est cet obstacle que viennent de lever, chez le moustique Aedes aegypti, potentiellement porteur de la dengue et de la fièvre jaune, les auteurs de l'étude parue dans Science. Toute la difficulté tenait dans le fait que ce facteur M se cachait dans une zone du génome où les séquences génétiques se répétaient énormément. Ces chercheurs ont donc examiné les endroits où le matériel était nettement plus importants chez les mâles que chez les femelles. Sur les 164 régions ainsi identifiées, une seule, appelée Nix, semblait pouvoir être reliée aux caractères sexuels, notamment parce que le gène s'exprimait très tôt dans le développement de l'embryon.
Pour tester Nix et voir s'il s'agissait bien d'un facteur M, cette équipe pluridisciplinaire – comportant des généticiens, des biologistes, des entomologistes, des biochimistes et un spécialiste de médecine tropicale – a en quelque sorte fait du couper-coller avec ce gène. Grâce à la technologie Crispr, qui permet de faire de l'"édition génétique", ils l'ont tout d'abord "éteint" chez des embryons censés donner des mâles. Ceux-ci se sont, dans leur grande majorité, féminisés ou bien ont souffert d'anomalies génitales. Puis, Nix a été inséré dans des embryons censés devenir des femelles, chez qui des organes génitaux mâles sont apparus... Pour ces chercheurs, Nix constitue donc bel et bien le premier facteur M identifié chez des moustiques et cette étude pourrait fournir la base d'une méthode de lutte contre ces insectes, qui transformerait les redoutables femelles en mâles inoffensifs, sans œufs à faire grandir et donc sans aucune raison de venir vous piquer un soir d'été, à l'heure de l'apéritif...
Article de "Passeur de sciences" écrit par Pierre Barthélémy
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