mercredi 17 juin 2015

Quand le cannibalisme donnait la tremblote : le cas "kuru"


KURU. Au milieu du 20e siècle, la médecine a commencé à s'intéresser à une nouvelle maladie découverte en Papouasie-Nouvelle-Guinée dans une tribu aborigène anthropophage : le kuru. Entre 1950 et 1965, cette maladie dégénérative du système nerveux a emporté quelque 2500 membres de cette tribu, essentiellement des femmes et des enfants. La cause de cette épidémie ? Les rites anthropophagiques mortuaires de la tribu, qui conduisaient les femmes et les enfants à consommer le cerveau des défunts et le système nerveux central. Or, tout comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou la tremblante du mouton, le kuru est une encéphalopathie spongiforme transmissible. Un type de maladie provoqué par l'accumulation d'une protéine prion incorrectement repliée et transmissible par consommation d'organes contaminés. Au fur et à mesure de leur accumulation, ces prions vont littéralement ramollir le cerveau jusqu'à le rendre spongieux ; la maladie entraîne des troubles neurologiques graves (coordination des mouvements, troubles visuels, crises d’épilepsie, secousses musculaires). En langage Fore - utilisé par la tribu concernée -, "kuru" signifie d'ailleurs "trembler de peur". En 1950 toutefois, cette pratique a été interdite et la maladie s'est peu à peu raréfiée.

Un exemple saisissant d'évolution darwinienne

Cette histoire terrifiante refait aujourd'hui surface en raison de la publication le 10 juin 2015 dans la revue Nature d'un travail qui met en évidence, dans cette tribu Fore, une mutation génétique capable de protéger contre les prions pathogènes. En 2009, l'équipe de chercheurs britannique de l'Institut de neurologie de Londres est partie effectuer une analyse génétique des femmes qui avaient étrangement survécu à l'épidémie de kuru. Ils se sont aperçus qu’une nouvelle variante (G127V) des protéines prions était apparue et que celle-ci conférait une résistance particulière à l’infection. Autrement dit qu'une "protéine mutante" était apparue pour protéger la population de la maladie. Le principal auteur de ces travaux John Collinge y voit un "exemple saisissant d'évolution darwinienne chez les humains, où l'épidémie de maladie à prion a sélectionné un changement génétique pour protéger contre cette dégénérescence fatale". Si cette modification génétique résulte bien du hasard - seul et unique ressort de l'évolution des espèces -, elle a pu se transmettre de génération en génération car elle avait la capacité de protéger ses porteurs. Autrement dit, ce variant s'est installé par un processus de sélection naturelle.

Naturellement présente chez les mammifères, la protéine prion peut devenir pathogène en changeant sa conformation tridimensionnelle : elle se replie sur elle-même de façon très serrée, ce qui la rend hydrophobe, peu soluble et résistante à la dégradation. Peu à peu les protéines s'agrègent entre elles et forment des dépôts qui se multiplient à l’intérieur et à l’extérieur des cellules du cerveau, perturbant leur fonctionnement et leurs mécanismes de survie.
Source : Inserm

Pour s'assurer de la validité de ce mécanisme protecteur, les scientifiques ont utilisé des souris génétiquement modifiée pour reproduire cette "nouvelle" variante de la protéine appelée G127V. Résultat ? Les souris modifiées se sont révélées résistantes à toutes les maladies à prions testées. Des résultats encourageants qui pourraient servir à mieux comprendre d'autres maladies neurodégénératives dont le mécanisme est semblable comme la maladie d'Alzheimer ou Parkinson. Reste que ces travaux sont très fondamentaux et qu'ils n'offrent pas de piste immédiate pour de nouvelles stratégies thérapeutique.

Article de "Sciences et Avenir" écrit par Hugo Jalinière

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