KURU. Au milieu du 20e siècle, la médecine a commencé à
s'intéresser à une nouvelle maladie découverte en Papouasie-Nouvelle-Guinée
dans une tribu aborigène anthropophage : le kuru. Entre 1950 et 1965, cette
maladie dégénérative du système nerveux a emporté quelque 2500 membres de cette
tribu, essentiellement des femmes et des enfants. La cause de cette épidémie ?
Les rites anthropophagiques mortuaires de la tribu, qui conduisaient les femmes
et les enfants à consommer le cerveau des défunts et le système nerveux
central. Or, tout comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou la tremblante du
mouton, le kuru est une encéphalopathie spongiforme transmissible. Un type de
maladie provoqué par l'accumulation d'une protéine prion incorrectement repliée
et transmissible par consommation d'organes contaminés. Au fur et à mesure de
leur accumulation, ces prions vont littéralement ramollir le cerveau jusqu'à le
rendre spongieux ; la maladie entraîne des troubles neurologiques graves
(coordination des mouvements, troubles visuels, crises d’épilepsie, secousses
musculaires). En langage Fore - utilisé par la tribu concernée -,
"kuru" signifie d'ailleurs "trembler de peur". En 1950
toutefois, cette pratique a été interdite et la maladie s'est peu à peu
raréfiée.
Un exemple saisissant d'évolution darwinienne
Cette histoire terrifiante refait aujourd'hui surface en
raison de la publication le 10 juin 2015 dans la revue Nature d'un travail qui
met en évidence, dans cette tribu Fore, une mutation génétique capable de
protéger contre les prions pathogènes. En 2009, l'équipe de chercheurs
britannique de l'Institut de neurologie de Londres est partie effectuer une
analyse génétique des femmes qui avaient étrangement survécu à l'épidémie de
kuru. Ils se sont aperçus qu’une nouvelle variante (G127V) des protéines prions
était apparue et que celle-ci conférait une résistance particulière à
l’infection. Autrement dit qu'une "protéine mutante" était apparue
pour protéger la population de la maladie. Le principal auteur de ces travaux
John Collinge y voit un "exemple saisissant d'évolution darwinienne chez
les humains, où l'épidémie de maladie à prion a sélectionné un changement
génétique pour protéger contre cette dégénérescence fatale". Si cette
modification génétique résulte bien du hasard - seul et unique ressort de
l'évolution des espèces -, elle a pu se transmettre de génération en génération
car elle avait la capacité de protéger ses porteurs. Autrement dit, ce variant
s'est installé par un processus de sélection naturelle.
Naturellement présente chez les mammifères, la protéine
prion peut devenir pathogène en changeant sa conformation tridimensionnelle :
elle se replie sur elle-même de façon très serrée, ce qui la rend hydrophobe,
peu soluble et résistante à la dégradation. Peu à peu les protéines s'agrègent
entre elles et forment des dépôts qui se multiplient à l’intérieur et à
l’extérieur des cellules du cerveau, perturbant leur fonctionnement et leurs
mécanismes de survie.
Source : Inserm
Pour s'assurer de la validité de ce mécanisme protecteur,
les scientifiques ont utilisé des souris génétiquement modifiée pour reproduire
cette "nouvelle" variante de la protéine appelée G127V. Résultat ?
Les souris modifiées se sont révélées résistantes à toutes les maladies à
prions testées. Des résultats encourageants qui pourraient servir à mieux
comprendre d'autres maladies neurodégénératives dont le mécanisme est semblable
comme la maladie d'Alzheimer ou Parkinson. Reste que ces travaux sont très
fondamentaux et qu'ils n'offrent pas de piste immédiate pour de nouvelles
stratégies thérapeutique.
Article de "Sciences et Avenir" écrit par Hugo Jalinière
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